lundi 30 octobre 2017

Retour de bâton


Yves Pagès


L'abandon de la discrétion dans l'espace public annonce une pensée de l'ordre fasciste, dis-je en levant légèrement la voix. De cet abandon s'ensuit que des êtres humains peuvent être étiquetés publiquement en raison de caractéristiques individuelles ou d'une donnée biographique divergente, et aussi que les personnes étiquetées ne saisissent pas le caractère ambigu et dangereux de leur étiquetage. Pensez aux nombreux handicapés, homosexuels, immigrés et autres étrangers qui s'exhibent en tant que tels sous couvert de tolérance ; ils surestiment le bref effet de reconnaissance que leur apporte cet auto-étiquetage, et ils sous-estiment ou plutôt se trompent sur la menace qui va les frapper à long terme. Dans les instants où il est pratiqué, dis-je, personne ne sait si l'auto-étiquetage va servir la personne étiquetée ou lui nuire. Ce n'est qu'après l'étiquetage que se produit le retour de bâton des normes. Car c'est seulement dans la grande foule toujours assurée de ressembler à elle-même, dis-je, que le besoin se fait jour de discriminer ceux qui ne répondent pas, ou pas suffisamment, à cette exigence de ressemblance. Chaque nouveau fascisme, dis-je, est la conséquence d'un système d'étiquetages réussi qui ne peuvent plus être annulés.

Wilhelm Genazino, La Stupeur amoureuse,
trad. Anne Weber, éd. Bourgois, 2007

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