samedi 27 août 2016

Une proposition




Par hasard, dans la rue. C'est elle qui m'a reconnu. Gloria n'avait pourtant pas changé. La même silhouette qu'il y a quinze ans. Son allure surannée d'actrice hollywoodienne rendait alors les mecs fous. Je constatai que le temps et ses lois impitoyables avaient perdu sa trace. Elle voulut savoir ce que je devenais. Deux minutes suffirent pour satisfaire sa curiosité polie. J'étais mal à l'aise, mais la bienséance m'obligeait à lui rendre la pareille. Elle me demanda si j'avais le temps pour un café il y a si longtemps. Je n'étais attendu nulle part depuis des années mais la perspective de l'entendre me raconter sa vie m'épuisait déjà. J'espérais être resté naturel, n'avoir marqué aucune hésitation en acceptant sa proposition. Dans ce quartier touristique, large était le choix : du troquet de vieux habitués à la brasserie de luxe, en passant par le bar interlope ou le café sans âme. Marcher à ses côtés, faire simplement une centaine de mètres sans même la regarder, sentir sa présence et le parfum d'une autre époque, me troublait si profondément que je manquais m'évanouir à deux pas du bistro. Je pense qu'elle ne s'aperçut de rien. Le ciel enfin dégagé nous y invitait, nous nous assîmes en terrasse. J'avais assuré ma tenue en collant le dos à la vitre et en gardant une distance suffisante avec Gloria. J'étais prêt à recevoir ses histoires, ses questions, ses souvenirs, ses reproches. 
Un défilé de mots tristes et banals. Infidélité, dépression, résidence secondaire, divorce, vacances, fric, garde partagée, juge, pension alimentaire, solitude, mauvaises rencontres, longue maladie. Je ne sais plus dans quel ordre. Elle était soulagée de pouvoir me dégueuler ces péripéties connues de tous entre deux gorgées d'une bière pas assez fraîche. Je me taisais, plongeais le nez dans le houblon espérant échapper à l'odeur de la mort. Je l'écoutais à peine et avais parfois l'impression qu'elle ne finissait pas ses phrases, qu'elle les ponctuait d'un Oui ravalé, balisant le parcours de pensées embrouillées. Elle s'arrêta soudain, me regarda longuement comme si elle ne parvenait pas à croire à nos retrouvailles. Elle y voyait un signe. Un enthousiasme bousculant les larmes. Ne sachant quoi lui répondre, je lui offris un sourire sous forme de conclusion
- Il y a quinze ans, j'étais amoureuse de toi. 
- La mémoire… forcément… elle embellit les choses.
- Je le suis toujours. Je l'ai compris quand je t'ai vu sur ce trottoir.
Je voulus trouver une sentence philosophique et définitive, une pensée consolatrice, un dernier aveu, mais je finis ma bière et enterrai toute réponse possible. Je la regardai à mon tour, en silence. Je savais qu'en rentrant ou au plus tard dans la nuit, je trouverais enfin les mots et le courage de les libérer.
Je posai un billet sur la table, pris le bras de Gloria et avisai
sur le trottoir d'en face une boutique de spiritueux jouxtant un hôtel dit de charme.

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