jeudi 29 mars 2018

Tonalité intense de grisaille et de désolation





26 avril 1993 (Majorque)
J'attends qu'on veuille bien me servir dans un restaurant « inquense » de Palma (Sa Premsa) où presque tous les clients sont morts, immobiles sur place. Certains, immobiles aussi, sont en réalité en train de mourir. Ils sont difficiles à distinguer des premiers, mais on les reconnaît au fait que leurs yeux conservent encore un rien de mobilité. Les rares clients vivants attendent qu'on les serve et s'impatientent, dont une voisine du genre à qui on ne la fait pas. La patrone et unique servante d'ailleurs du restaurant, qui s'affaire mollement au milieu de tous ces morts (elle me rappelle assez la patronne française d'un petit restaurant de San Telmo où je fréquente aussi), s'agace de cette impatience, dit qu'elle ne peut servir tout le monde à la fois et qu'il faut s'occuper en priorité des clients morts. 
Après ce rêve terrifiant et si clair (« plus vite tu seras mort, plus vite tu seras servi »), deux heures de sommeil hasofinesque. Rythme plutôt paisible, mais tonalité intense de grisaille et de désolation.
Clément Rosset, Route de nuit, Episodes cliniques, Gallimard



2 commentaires:

  1. Exact cher Pierre. Hasof, abréviation rossetienne d'une étrange maladie qui a frappé ce pauvre Clément Rosset, nommée Hyper-activisme semi-onirique de fin de sommeil et dont il raconte quelques rêves dans le bouquin cité... A lire d'urgence, entre deux Chabrol période 69-71 !

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