mardi 21 mars 2017

Je suis pas une salope


Je suis pas une salope. J'ai 23 ans. Je veux profiter de la vie. C'est tout. On ne sait pas demain. Là, je sais. J'ai un corps, je veux en jouir. En faire jouir aussi, bien sûr. Quoi de plus beau ? Mais je suis pas idiote. Si on vous donnait à choisir entre, je sais pas, moi, un mec pas mal, romantique, un poète, mais sans fric et un mec pas super, un peu dégarni mais pété de thunes, qui vous emmène en week-end sous les tropiques en hiver, qui vous file sa carte Gold quand ça vous chante, vous prendriez quoi ? Vous, je sais pas – un homme, c'est plus compliqué –, mais moi, c'est tout vu. 
Moi, je veux pas être une misérable. Je veux être bien fringuée. Porter des marques. Les pompes à 1 000 boules, je veux pouvoir me les payer. Le it-sac aussi. Que dis-je ? LES it-sacs. Les lunettes qui vont avec. Donc plusieurs paires. Aller chez le coiffeur. L'esthéticienne. Aller au ciné, aux concerts, au théâtre même autant que je veux. L'opéra aussi, pourquoi pas ? Voyager. Faire des cures. Me payer de temps à autre des séances de botox, me refaire le nez ou de nouveau les seins – je crois que c'est tous les 10 ans, j'ai encore le temps. Je veux pouvoir avoir immédiatement le dernier I-Phone. Je suis très Apple, moi. Faire mes courses au Bon Marché, j'adore ce quartier – j'aimerais bien réussir à y habiter un jour. Et ce magasin, franchement, des fois, j'ai l'impression qu'ils l'ont ouvert pour moi. Je veux dire, pas qu'ils l'ont créé pour moi – quoique – mais qu'ils attendaient ma venue, et ils l'ont ouvert quand ils m'ont vu descendre de mon taxi Uber. Je rigole. Mais si on compare avec le Carrefour-city en bas de chez moi, y'a pas photo. Au Bon marché, des fois, j'ai l'impression d'être toute seule dans les rayons. Et tous ces produits… Franchement, on a envie de tout acheter. Dans ce quartier aussi, il y a le bar du Lutétia, c'est divin. J'adore y prendre un thé vert. Ou un cocktail exotique. Une fois, j'ai même vu Catherine Deneuve. Catherine d'occase, on l'appelle avec les copines, tellement elle est retapée. Mais Catherine Deneuve, quand même ! A deux mètres de moi !
Je suis une nomade. Faut vivre avec son temps. Moi, je vois ma mère, elle est pas très vieille, mais elle souffre. Je sais depuis un moment ce que c'est la ménopause et tout ce qui se dérègle à ce moment et ça commence des années avant. On se rend pas compte. A 40 balais, on est out. Les hommes, ils en ont plus rien à foutre de vous. C'est pour ça que je veux profiter de la vie. Demain, on ne sait pas ce que ça va donner. Le monde est en pleine mutation. Peut-être que les Roms, demain, ce sera nous. Vous voyez le tableau ? Non, je crois pas, mais on ne sait jamais. En attendant, je trouve qu'ils sont un peu trop nombreux. Mais c'est pas le sujet. Si l'Europe s'effondre. Tous les empires se sont effondrés un jour. Mais je veux pas parler de politique, moi, j'y comprends pas grand-chose, j'avoue. Je sais même pas pour qui voter entre les deux, là. Macron, il a l'air sympa, il est jeune, dynamique. Paraît qu'il est gay, ce serait marrant, un gay à la présidence. Mais une femme, à la tête d'un grand pays comme le nôtre, ça aurait de la gueule aussi. Elle est sincère, je pense. Elle sait ce que c'est, la politique, elle. Elle a vécu là-dedans toute sa vie. Et puis, ce parti, c'est plus ce que c'était du temps de son père, c'est plus lisse aujourd'hui, je trouve. Et puis, il y a sa nièce aussi, elle est pas mal. Ça ferait comme une dynastie, les Le Pen. Avec des intrigues de cour, comme dans Game of Thrones. Moi, je suis très séries. Je peux m'enquiller toute une saison en un week-end. Les séries, c'est le monde d'aujourd'hui. J'aime pas trop les trucs psychologiques exagérés, intellos, lents, il se passe pas grand-chose, j'ai besoin que ça bouge. Mais j'aime bien la psychologie, faut pas croire. A la médiathèque, j'emprunte souvent des livres-parlés. Vous savez, c'est des CD avec le texte lu par un comédien, parfois par l'auteur. Je transfère ça dans mon MP3 et j'écoute quand je vais à la gym. J'y vais 3 fois par semaine. Donc, forcément, je suis obligée d'aimer ça, la psychologie. J'aime bien Christophe André, je crois qu'il s'appelle. Un type qui vous aide à méditer. J'adore sa voix. Des fois, j'en chie sur mon rameur, eh ben, sa voix, ça me donne du courage. Et j'écoute ses conseils. Mais les bouquins, non, j'ai pas le temps. Je lis quand même. C'est comme le vélo, faut entretenir, mais on oublie jamais. Je suis abonné à Elle et à Grazia
J'ai posé pour des photos. Joué dans un ou deux clips. Mais c'est pas mon truc. J'aime pas l'ambiance. C'était chaud. J'ai essayé les applications de rencontre, pas les sites. C'est pratique. Mais, j'ai dit, je suis pas une salope, et puis il y a trop de mythos et de psychopathes. C'est très fake. L'idéal, ce serait de trouver un footballeur. Mais faut faire vite. J'ai déjà 23 ans. Je traîne parfois avec des copines sur les Champs, dans les bars qu'ils fréquentent. C'est elles qui m'ont donné l'idée. OK, ça vole pas très haut en général. Mais ça palpe, je peux vous dire. Et il y en a qui sont mignons. Je parle pas de Scarface, là, j'ai oublié son nom, le mec qui était en équipe de France et qui maintenant joue en Allemagne je crois. Mais je vous dis, faut faire vite. Parce que, paraît que dans les centres de formation, on essaie de les caser rapidement, pour pas qu'ils y pensent tout le temps et qu'ils aient la tête au foot seulement. Une copine aussi m'a parlé d'un autre plan. C'est les contrats avec les footballeurs gays. Vous connaissez pas le principe ? Dans ce milieu, ils peuvent pas faire leur coming out, sinon leurs contrats, les fans, les pubs, tout ça, ça tombe à l'eau. Alors, ils engagent des filles, des mannequins le plus souvent ou des chanteuses genre Nouvelle star, qui font semblant d'embrasser le joueur à Disneyland par exemple. L'agent du footballeur, il gère ça. Il envoie un ou deux photographes avec des gros appareils pour prendre de loin, comme si c'étaient des paparazzis. Ou à un match de basket ou à Rolland-Garros. En échange, t'as un joli chèque tous les mois, et ça lance ta carrière. Une fois que tu voles de tes propres ailes, ils organisent la rupture et ils en prennent une autre. Il paraît qu'il y a des filles spécialisées là-dedans. Des filles de l'Est le plus souvent. J'enquête là-dessus en ce moment. Si je pouvais entrer là-dedans, ce serait l'idéal. Vous croyez que j'ai ma chance ?

Propos recueillis par Charles Brun,
in Une histoire de cul et autres consolations


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