jeudi 2 février 2017

Le secret derrière la porte




- Ça devrait quand même te plaire... En plus, il vient d'un milieu modeste, comme toi...
- Qu'est-ce que j'en ai à faire ? Des cons, y'en a partout. Et j'en sais quelque chose... C'était quoi, son milieu ?
- Dans les chantiers navals, je crois.
- Il est né dans les chantiers navals ?
- Son père, il me semble...
- ...Son père est un élévateur et sa mère une grue, c'est ça ?
- Attends, je vérifie.
- Sa mère était secrétaire...
- Mouais...
- Et son père... Ah, non... Il a bien travaillé sur les chantiers navals de Brest, mais comme ingénieur...
- Eh bien, si ça, c'est un milieu modeste, le mien n'est même plus qualifiable...
- Mais c'est la gauche de la gauche...
- Non, c'est la gauche du parti socialiste...
- Quand même !
- Une gauche de com, frelatée... Le type a collaboré à ce gouvernement qui doit être ce qu'on a connu de pire depuis bien longtemps...
- Il a été viré…
- Non, il s'est laissé virer comme l'autre débile de Montebourg ou l'andouille de Duflot... Comme des rats quittant le navire… Pour préparer les échéances suivantes et passer pour des frondeurs... Et pour quel résultat ! Regarde bien ce qu'il propose : reprendre les mêmes et redonner à Valls son poste de député. A vomir.
- Je ne sais même pas pourquoi je te parle de ça...
- Moi non plus... Mais si on en parle, autant le faire correctement, et arrêter de débiter les mêmes conneries qu'on entend partout..
- Une dernière ?
- Ces gens-là devraient être éjectés, embastillés, tous, avec leurs magouilles, leur stratégie de carrière, leurs petits arrangements dans leur propre intérêt, leur pragmatisme, leur réformisme, leur européanisme...
- C'est bon, j'ai compris...
- Ce sont eux qui ont déroulé le tapis rouge au FN...
- T'y vas un peu fort !
- On en reparlera...
- Tout dépend de qui sera en face au second tour.
- Ne me parle pas du candidat des médias, de L'Homme de la situation !
- Les Français aiment sa vitalité, sa jeunesse...
- Son opportunisme, tu veux dire ?
- Il serait au second tour, en tous cas, selon les sondages, surtout si Fillon finalement renonce...
- Le châtelain qui parle de coup d'Etat après avoir piqué largement dans la caisse de cet Etat ?
- T'as vu ça ? Toute la famille s'est gavée...
- Mais ne me dis pas qu'ils vont tous voter pour l'autre con...
- Il est bien placé...
- S'il ne bénéficiait pas des réseaux médiatiques que lui ouvre son petit ami à la tête de Radio France...
- T'entends quoi, par petit ami ?
- Ce que tu as entendu.
- T'es sérieux ?
- Demande à n'importe quel journaliste... Je veux dire journaliste honnête, pas un gars de France inter ou de Libé... C'est aussi connu aujourd'hui que l'était jadis la double-vie de Mitterrand…
- Mais c'est quand même incroyable, son ascension...
- C'est du matraquage médiatique. Regarde les unes des journaux dits de gauche, L'Obs et les saloperies de ce genre, ce sont les mêmes, à son sujet, que celles de L'Express ou du Point... On dirait des pubs pour une banque ou une assurance. D'ailleurs, dans ces journaux, il y a longtemps qu'on ne fait plus la distinction entre l'éditorial et la publicité... Ce type est un produit des banques, du marketing et des réseaux. De plus, tout le monde semble oublier sa loi rétrograde et totalement inefficace quand il était aux manettes... Tu l'as vu s'emballer tout seul à son meeting, se gargarisant de slogans à la con, aussi creux que le crâne de Ronaldo ?
- Je sens ton côté macho, voire homophobe qui ressort quand tu as bu...
- T'es con ou quoi ?
- T'as regardé hier le match de Barcelone ?
- En partie. Y'a plus moyen d'avoir un bon streaming...
- Prends un abonnement.
- Tu sais bien que je n'ai pas la télé et dieu m'en garde
- Dieu ?
- C'est une façon de parler. La dernière ?
- C'était pas celle-ci ?… T'as résolu ton problème de porte, au fait ?
- M'en parle pas…
- T'as pas trouvé ce que tu cherchais chez Leroy-Merlin ?
- Tu parles. Je me suis tapé la route jusque là-bas, dans le froid, pour rien. Ils avaient deux modèles de gâche. 
- De gâches ?
- Oui, tu sais, en gros, c'est le trou dans lequel s'engage le pen…
- Le Pen ? 
- De la serrure. 
- Donc, ils avaient deux modèles, mais pas les bons ?
- Ça ressemblait autant à ce que je cherchais que Macron et Hamon à des révolutionnaires ! 
- Tu sais qu'il a écrit un livre qui s'appelle Révolution ?
- Tout mouvement subversif finit par être récupéré par le système. Ces types n'ont aucune honte…
- T'as trouvé ta gâche où ?
- Du côté de Saint-Ouen. Samedi.
- A Saint-Ouen ?! 
- Et comme un con, je suis parti sans consulter de plan, étudier le parcours, rien.
- A la One again !
- J'avais un rendez-vous à République et j'étais en retard, je suis parti en coup de vent… 
- Quel rendez-vous ?
- Pour un fauteuil de bureau…
- …Bon coin ?
- Oui, j'avoue. C'est une drogue… Bref, je débarque dans une rue Turbigo cernée par les flics, tous le doigt sur la détente. Des camions de CRS tout le long de la rue, comme pour une manif contre la Loi Travaille ! 
- Ah bon ? Pas entendu parler d'une manif, samedi…
- C'était le Nouvel an chinois !
- Ah oui, d'accord.
- Et tu sais que les Chinois aiment les Etats forts…
- Et ce fauteuil ?
- Je l'ai laissé dans la cave où il était… Tu te rends compte que les gens espèrent te vendre un truc en te faisant visiter leur cave de 3 m2 ?
- Bon, t'as bien galéré pour aller à Saint-Ouen, alors ?
- J'avais une idée claire, la seule : éviter la Porte de Clignancourt à cause des Puces. Et je suis passé par je ne sais plus quelle porte, elles sont toutes en travaux, sans panneaux indicateurs, je me suis retrouvé engagé sur une route sans pouvoir tourner là où je voulais, à cause de ces foutus travaux... Bref, j'ai visité Levallois, Clichy, et je ne sais quelle autre joyeuse petite bourgade de la périphérie parisienne avant de trouver la route pour Saint-Ouen... 
- Alors qu'en passant par Clignancourt…
- Oui, en passant par Clignancourt, c'est quasiment tout droit pour Saint-Ouen...
- C'est malin… Quand te décideras-tu à t'acheter un smartphone ?
- Jamais ! Tu m'entends ?!
- Un petit GPS, alors ?
- JAMAIS !

- Qu'est-ce qui t'a pris d'aller à Saint-Ouen ?
- Le jour de Leroy-Merlin, je me suis lancé dans une enquête sans fin. Passant des coups de fil à droite à gauche. Un cauchemar. Personne n'avait la bonne référence. Ou alors ils voulaient me vendre la serrure complète… Finalement, on m'a indiqué ce comptoir.
- Celui-ci, chez Ahmed ?
- Non, le comptoir du Forum du bâtiment. Un truc ouvert de 7h du matin à 22h. Week-end compris. 
- Un truc à la Macron ?
- Non, un truc de pros. Au téléphone, j'étais tombé sur un type, un commercial, qui m'avait demandé de lui envoyer une photo de ma gâche car il n'avait pas la référence exacte en magasin et voulait montrer ma gâche à un collègue…
- Il ne sait pas à qui il avait affaire en te demandant de prendre une photo…
- T'as raison, quel bordel. C'est ma fiancée qui a pris la photo avec son téléphone, dont elle ne sait pas se servir. Impossible que je récupère le fichier sur mon ordi. J'ai essayé par Bluetooth…
- …Tu connais Bluetooth, toi ?
- C'est Bluetooth qui me connaissait pas. Finalement, elle a envoyé la photo par sms sur le téléphone de sa mère qui, après son cours d'italien, me l'a envoyée par mail pour qu'à mon tour je l'envoie au type qui devait l'envoyer à son collègue…Tu suis ?
- En tous cas, y'a plus de péripéties qu'aux primaires du PS…
- Et je te passe les détails…
- Merci. On en reprend une dernière ? C'est que ça donne soif, ces émotions…
- Donc le type me dit, le lendemain, qu'il a une gâche assez proche. Dans la référence, seul un A remplace un L ou un H, je ne sais plus. Je lui dis que je passe samedi. Or, le samedi, il ne bosse pas mais me donne le nom du type qui sera au comptoir. Vahid, Vous le reconnaîtrez sans peine, c'est un Indien. Vous lui direz qu'il doit aller récupérer la pièce sur mon bureau, au service commercial. Ok, c'est simple. Même si Vahid, pour un Indien, ça m'a paru louche.
- On trouve bien des Kevin Gonzalez ou des Jennifer Ranavalontsimitoviaminandriana…
- C'est vrai. Bref, une fois enfin arrivé sur place, y'avait trois types au comptoir, tous occupés avec des trucs bien plus sérieux que ma petite gâche…
- Pour une petite gâche, on dit gâchette ?
- Et sur ces trois types, pas un qui ressemblait à un Indien vraiment. 
- Ah merde ! Ils ressemblaient à quoi ?
- J'en sais rien, ils avaient tous la peau mate…
- T'as fait comment ?
- Je me suis souvenu des westerns de mon enfance et j'ai misé sur le mec à cheveux longs…
- C'était lui ?
- Oui ! Mais il m'a fallu attendre une demi-heure qu'il soit libre. Il était au courant, ça a pris deux minutes, j'ai payé et me suis barré honteux avec ma gâche…
- Pourquoi honteux ?
- Je ne sais pas. Etre dans cette atmosphère d'ouvriers, du bâtiment, ça me faisait penser à mon père, à ses Javanais. Moi, j'ai fait des études, je ne sais rien faire de mes mains et c'est le parcours du combattant quand je veux me lancer dans du bricolage, ou trouver une gâche…
- T'es doué pour autre chose…
- Tu crois ?
- En tous cas, pour ce qui est du lever de coude, crois-moi, ton père serait fier de toi !

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