dimanche 4 décembre 2016

Un métier sans avenir


Je l'ai vue débarquer du train de Carcassonne
Où je l'avais connue par hasard en été.
Tout seul, loin de Paris, je ne connaissais personne.
Ce fut un bel amour, criant de vérité.
Je l'ai vue débarquer un dimanche à la gare,
Le sourire éclatant, la valise à la main.
Tout dans l'anatomie mais rien dans le cigare.

Ell' m'a sauté au cou au bar de l'arrivée,
Ell' m'a dit « Mon amour, j'ai tout lâché pour toi,
Mon pays, mes amis, ma vieill' mère adorée ;
Ce que je veux, mon chéri, c'est vivre sous ton toit ».
La fill' qui tomb' du ciel, j'avais pas l'habitude.
J'ai pris ça sous mon aile, comme un p'tit chat perdu.
Ell' rêvait de Paris comme on rêve des Bermudes,
Ell' me trouvait sublime, donc ell' m'avait mal vu !

J'lui ai expliqué que la vie était dure;
Que le Quartier Pigalle était un beau quartier,
Où l'on pouvait encore découvrir l'aventure ;
Il fallait tout d'mêm' bien qu'elle apprenne un métier !
Moi qui la croyais pure, qui la croyais naïve,
Je l'ai laissée courir en la suivant de loin.
Comme elle était mignone, qu'elle était persuasive,
En rien de temps, c'était la plus connue du coin.

Depuis j'ai mon duplex au dix-huitième étage
D'un immeuble de verre et tout climatisé.
Elle a fait v'nir sa sœur de son lointain village.
Vous pouvez v'nir chez moi, y a tout pour s'amuser.
Bien sûr, j'ai des amis qui me font des reproches,
Il paraît qu'j'ai choisi un métier sans avenir,
Mais avec tout l'pognon dont j'ai bourré mes poches ;
Je leur dis bien des choses… J'ai tout l'temps d'voir venir.
Bernard Dimey, Le Petit Maquereau, in Je ne dirai pas tout, Christian Pirot éditeur

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