mardi 6 décembre 2016

Le Passeur

Weegee via kvetchlandia

J'aimais bien ce type. On a dû échanger en tout et pour tout deux trois phrases, j'étais trop impressionné à l'époque, mais j'aimais bien ce type. Et son travail. Mon premier ouvrage de cinéma, offert par ma petite amie italienne, était son Dictionnaire chez Larousse.
Je dois avoir encore quelque part une photo des années 1980 au jardin du Luxembourg, du temps que j'étais étudiant ou des années qui suivirent. Avais-je déjà travaillé pour lui ? Etais-je encore libraire ? Je ne sais plus. En me promenant dans le parc, où, entre deux pages de L'Idiot ou du Voyage, je prenais des photos de joueurs de tennis, d'enfants, de vieilles dames assoupies sur une de ces chaises inconfortables, je l'avais aperçu tournant manège. J'appris plus tard qu'il s'agissait du manège de son frère et qu'il venait volontiers filer un coup de main de temps à autre, ça le changeait du monde du cinéma. Sur le cliché, discret, on le voit manœuvrer l'attraction. C'était un ancien modèle et il fallait donner de sa personne pour le faire tourner. 
Je n'en ai jamais parlé avec lui. Ni avec ses collaboratrices. C'est avec elles que je travaillais véritablement. Je m'étais retrouvé dans le bureau de l'une d'elles, sans rendez-vous, tout fraîchement sorti de la fac et d'une ou deux expériences de traduction de l'autre côté des Pyrénées. Je me demande encore où j'avais bien pu trouver ce culot – auprès de mon ignorance certainement. La salle Garance du Centre Pompidou organisait une rétrospective du cinéma espagnol et je m'étais proposé pour la traduction simultanée de quelques films. En ce temps-là, pas de code d'entrée, les bureaux situés rue Beaubourg étaient facilement accessibles et ma proposition facilement retenue. Je ne me souviens plus du prénom de cette jeune femme, mais c'est elle qui m'a présenté le boss. J'ai enchaîné avec eux une rétrospective du cinéma mexicain et un ou deux trucs en plus. 
J'ai rencontré une autre de ses assistantes avec une autre de mes casquettes. J'allais au Festival de La Rochelle en tant que journaliste. J'y ai déjeuné avec lui et une poignée de confrères. De ce repas succulent, je ne retiens que l'embarras d'être là, la pénibilité de certains pisseurs de copies et la brandade de morue. J'ai dû me faire prendre au même type de piège dans un ou deux autres festivals, mais peu, très peu. Fut-ce le cas à Montréal ? Pas le souvenir. Mais celui de ma rencontre avec Pierre Falardeau, oui. J'avais rapporté du Canada, outre l'amitié de Pierre, deux de ses films sur cassettes VHS. A peine arrivé à Paris, et avant de filer pour Ouaga, j'étais passé les déposer au bureau du Festival en incitant Prune et Sylvie d'y jeter deux yeux et voir si ça pouvait entrer dans leur programmation. Le long métrage fut retenu et Pierre invité à La Rochelle, puis à la maison – il avait horreur des chambres d'hôtel et apprécia mon canapé puisqu'il l'occupa de nouveau par la suite. Le court pamphlet, je pense qu'il ne fut pas montré en Charente. Mais je fis tourner, comme ça se faisait au Québec, la VHS autour de moi et auprès de mes amis anars à qui également je présentai Pierre. 
Pierre a disparu il y a déjà quelques années, à 62 ans. Je garde ses lettres longues et passionnées, le souvenir de nos soirées arrosées, de nos débats cinématographiques et politiques, de son slogan préféré Nous vaincrons !, de la sortie de son film Octobre – sa participation au Festival de La Rochelle avait suscité l'intérêt d'un petit distributeur –, le sourire de sa femme, également cinéaste, qui projetait la mystérieuse adaptation du bouquin d'Orwell, Dans la dèche à Paris et à Londres. Je pense que ça ne s'est jamais fait. Comme ne s'est jamais faite l'indépendance de la Belle Province pour laquelle Pierre avait consacré sa vie.
La mort, dans l'ombre de l'actualité, de Passek le passeur de films remue toutes ces images, et quelques autres. C'est un peu par hasard que j'ai appris la nouvelle. Sur un blogue belge. Les grands médias de chez nous, trop occupés par la déroute hollandaise, la Valls à deux temps, le piteux François Pignon et des défunts plus imposants, n'ont pas jugé bon de lui consacrer la moindre ligne. On m'avait raconté que cet amoureux du Portugal s'était installé dans ce pays une fois la retraite prise. Il est mort à Paris le 4 décembre à 80 balais. 



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