mardi 4 octobre 2016

A la santé du cinéma !



- Si je ne me retenais, je serais capable d'embrasser tout le monde !
- A cause du film ?
- Ah ! Que ça fait du bien !
- La dernière fois, c'était quand ?
- Y'a longtemps !
- Toi qui t'étais juré de ne plus retourner au cinéma !
- Heureusement, tu as repéré que ça passait pour la dernière fois ! On a failli le louper !
- On est parfaitement complémentaire : c'est toi qui a tout fait pour qu'on mange tôt, c'était pas évident, cette séance un dimanche à 13 heures !
- Maintenant, tu sais que lorsque tu m'auras quitté, fini le bon cinoche...
- Les acteurs sont tous fabuleux ! Et pour une fois, y'a un beau mec dans le rôle principal.
- Ah bon, tu le trouves beau ? Faut pas exagérer !
- Il a un côté Alain Delon, en moins clean.
- Delon n'a rien de clean !
- Je sais mais il avait une élégance qui lui a permis d'accéder à une certaine classe.
- Quand on a été voyou, on le reste.
- Dans un entretien récent, il affirme que la période la plus heureuse de sa vie, c'était quand...
- ...il était dans l'armée !
- Tu l'as lu ?
- Non, mais il l'a souvent dit. D'où son amitié avec Le Pen...
- Exact.
- Mais quel putain d'acteur !
- Tu te rappelles ce que nous avait raconté ce vieux comédien quand Delon était au théâtre avec Mireille Darc ?
- Vaguement... 
- Il avait fait un scandale parce que le type à la réception ne montait pas les fleurs dans la loge de sa Mireille.
- Ah oui ! Il a demandé à voir son contrat. Il ne supporte pas les dilettantes. Il faut être un pro avec lui. Et il a fait virer le mec qui était là depuis 27 ans... Dire que j'ai failli l'écraser en scooter... 
- Le mec qui s'est fait virer ?
- Non, Delon !
- Quoi ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
- Je te l'ai déjà racontée.
- C'était où ?
- Vers chez lui. Dans le 8e, je ne sais plus la rue. Nous allions dîner avec les producteurs du film sur lequel travaillait Pilar. Elle était assise derrière moi. On discutait, on cherchait l'adresse... Quand soudain, un type surgit devant moi. Je freine à temps et là, le type me salue d'un signe de tête, me sourit et je réalise que c'est Delon. Son assistant ou chauffeur le suivait à deux pas, des costumes sous le bras. Pilar n'en revenait pas !
- Tu ne trouves pas que l'acteur du film a un air de Delon ?
- Si tu veux, vaguement.
- J'avais déjà repéré sa gueule sur une affiche dans le métro, il y a longtemps. Je ne l'avais jamais vu jouer mais j'avais retenu son nom, Chris Pine...
- Je vois !
- Exactement. Je me disais qu'il avait une gueule de sexe !
- D'accord... Ce n'est tout de même pas l'essentiel dans le film. D'ailleurs, il y est un peu asexué, contrairement à son frangin.
- C'est quoi, l'essentiel ?
- Dans le film ou dans la vie, en général ?
- Commence par le film.
- L'ambiance, les villes fantômes, la manière de raconter l'absurdité, la déliquescence et la sauvagerie de notre monde. La mise en scène. Oui, les comédiens, la musique. Tu vois, j'ai eu peur au début lorsqu'ils se mettent à expliquer la situation par le dialogue...
- Faut bien exposer.
- Oui, mais il faut faire confiance au cinéma, au spectateur et ne pas faire de la télé. Comme ces séries dont tout le monde dit des merveilles et qui font avancer l'action uniquement par le dialogue... Du théâtre filmé, oui ! Faut tout raconter, tout dire, au cas où on est parti pisser ou on est en train de faire des textos... Misère d'époque ! Heureusement, ça s'arrange très vite.
- Je ne savais rien du film, je croyais que c'était un western.
- C'est un western en quelque sorte. Une tragédie grecque. Un drame shakespearien. Et même de bons moments de comédie ! Balaise !
- Le titre anglais n'a rien à voir.
- Hell and High Water ?
- Pourquoi traduire ça par Comancheria ?
- Parce que les distributeurs français sont des branques !
- C'est qui, le distributeur ?
- Wild Bunch ! Des gars qui viennent de Canal. Tu sais, le fameux Vincent Maraval...
- Ah, c'est lui qui avait mis les pieds dans le plat avec les salaires des stars ?
- Oui, quel guignol ! Cette boîte s'est d'ailleurs donné comme nom un titre original de film.
- Wild Bunch, c'est quel film ?
- La Horde sauvage !
- Ah oui !
- Et ça veut dire quoi, le titre original ?
- Ben, La Horde sauvage...
- Non, High Water machin...
- Je crois que c'est une expression. Come hell or high water. Et ça veut dire Quoi qu'il advienne, quelque chose comme ça.
- Qu'il pleuve ou qu'il vente ?
- Oui, voilà. Ils auraient pu se casser le cul pour trouver un bon titre français !
- Ce que je trouve réussi, c'est qu'il parvient à nous rendre sympathiques aussi bien les frangins délinquants que les flics. Comme dans La Règle du jeu, tout le monde a ses raisons.
- Je n'aime pas Renoir, mais je vois à peu près ce que tu veux dire.
- A la fin, l'un comme l'autre ont toutes les raisons de se tirer dessus, mais ils sont finalement tous les deux victimes du même système.
- Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ?
- On rentre.
- C'est ça qui est con, avec les séances de 13 h. Quand on en sort, ce n'est pas encore l'heure de l'apéro !
- Ce n'est pas bien grave. D'autant qu'on a pris l'habitude d'aller boire un coup après le cinéma parce qu'on a vu un mauvais film, pour se consoler mais là, ce n'est pas le cas !
- Et la fête, t'en fais quoi ? On croyait le cinéma mort et le voilà qui se pointe ! On peut avoir envie de fêter ça en allant boire un coup à sa santé, parce que le temps d'un film, nous sommes réconciliés avec le cinéma, et puis ils m'ont donné soif, ces cons...
- Oui, oui, oui : toutes les raisons sont bonnes pour boire un coup si je te comprends bien ?
- Pas toutes, mais celle-ci, si !

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