mercredi 20 mai 2015

Condition du supporter moderne



Depuis quelques années, les chaînes privées sur abonnement ont raflé les droits de diffusion des grandes manifestations sportives, le football en particulier, devenu un programme télé, un produit d'appel. Le football est aujourd'hui un business très lucratif pour les investisseurs de tout type. En Angleterre, par exemple, des clubs traditionnels comme Manchester United ou son rival City, Liverpool, Tottenham, Chelsea..., sont la propriété de millionaires, pour certains d'entre eux bien peu recommandables. Cette dérive se fait au détriment du caractère populaire de ce sport, le prix des places au stade ayant considérablement flambé. On m'a raconté, il y a longtemps déjà, que les vieux supporters d'un club comme Manchester United, à l'origine équipe de la compagnie ferrovière locale, frappés par la crise, continuent à se rendre au stade, mais s'arrêtent à quelques mètres de l'enceinte, dans un des cafés dotés d'un écran géant et diffusant les matches de leur équipe de coeur. Lorsque tout s'est bien passé, ils laissent ainsi leur joie se fondre dans l'air proche d'Old Trafford, avec le sentiment d'en avoir été.
Nous sommes nombreux, aux quatre coins de la planète, à nous être résignés à cette pratique. Parfois, quand le tenancier de l'estaminet n'a pas décidé de faire de nous, hères errants et humiliés, de beaux pigeons, on peut aspirer à trouver un certain semblant de convivialité entre nous. On se sent en famille, presque aussi bien lotis qu'au stade. Mieux en tous cas que ceux qui, bien moins fortunés, restent sur le trottoir et collent leur nez aux vitres du café, espérant entrevoir une belle action d'une de leurs idoles. On trouve toujours plus malheureux que soi. C'est une des malices de ce système économique meurtrier.
En Italie, il se murmure que le Cavaliere Berlusconi envisage sérieusement la vente de son club, le Milan AC, en perdition depuis une bonne décennie. Un Chinois serait sur le coup. Le week-end dernier, pour le compte de l'antépénultième journée du championnat, le Milan se déplaçait sur le terrain de Sassuolo, modeste club de Modène, monté en série A en 2013 pour la première fois de son histoire et se maintenant depuis en milieu de tableau, tranquille. Sandro, inconditionnel lombard, avait choisi de suivre ce match dans un bar de sa ville, comme il en a la coutume. A 45 ans, ce simple employé n'a pas les moyens de se rendre à San Siro et encore moins de suivre son équipe chérie loin de ses bases.
Rapidement mené par deux buts du jeune prodige Domenico Berardi (propriété de la Juventus de Turin), le Milan revient au score puis égalise. Sandro est fou de bonheur et se prend à espérer une fin de championnat un peu plus honorable. Manque de chance, Bonaventura, l'un des buteurs, est expulsé, puis, c'est le tour d'Alex. Réduits à 9, les Milanais encaissent un nouveau but de Berardi. Dégoûté, Sandro règle ses bières et rentre chez lui. Comme dans un film des frères Coen, il assiste alors à la pathétique débandade de l'amant de sa femme extirpé du lit conjugal par son arrivée prématurée. Les voisins alertent la police en entendant le grabuge qui vient de se déclencher chez Sandro. L'histoire ne dit pas si l'amant aimait lui aussi le foot. S'il était plutôt supporter de l'ennemi juré du Milan, l'Inter de Milan, qui avait joué et également perdu la veille. S'il regardait les matches au bar, s'il était abonné à Bein ou Sky ou si, humiliation en bonus pour Sandro, l'amant de sa femme se rendait régulièrement au stade, à domicile comme en déplacement. Le trio infernal a fini au poste. Et à 45 ans, Sandro vient de trouver refuge chez ses parents, dans sa chambre d'enfant... 
La multiplication des sites de streaming illégal de foot, en quasi direct, devrait, dans le futur, nous mettre, nous autres, à l'abri de ce genre de mésaventure. A condition que madame ne s'invente une vieille tante à soigner, une chère amie à consoler d'une rupture et reste à la maison quand y'a foot ! La condition du supporter moderne est déjà assez difficile comme ça. 

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