vendredi 28 novembre 2014

Connaissez-vous Fred Deux ?




Le livre a survécu à une dizaine de déménagements en plus de 25 ans. Il est costaud. Et m'a toujours un peu effrayé. Je ne sais pas pourquoi je l'avais volé, celui-ci. La photo de Doisneau sur la couverture de l'édition chez Losfeld ? Pas sûr. Recommandé par quelqu'un ? Je ne crois pas. 
Dans un entretien je ne sais plus où, il y a quelques années, Richard Morgiève en fait l'éloge. Mais j'ai connu Morgiève bien après. En fait, lorsque je lis l'entretien, je ne sais pas qui est cet auteur que Morgiève dit inconnu et essentiel, un certain Fred Deux. C'est lorsque je découvre le titre du roman que je comprends que Fred Deux et Jean Douassot sont une seule et même personne. J'ouvre de nouveau La gana, signé Douassot, et en lis les premières lignes. Décidément, ce n'est pas encore pour aujourd'hui, me dis-je. Il y a des livres comme ça qui résistent aux premières approches, se laissent désirer, disent d'abord non et finissent par rester collés à vous pour toujours. Il faut les mériter.
Je l'ai enfin lu il y a quelques mois. Je ne m'en suis toujours pas remis. Il est là, dans un coin de la tête, lancinant, pesant. Lorsque j'ai annoncé mon exploit à Morgiève, il m'a recommandé de lire La perruque. Ok. Non seulement, le titre n'est plus disponible, mais je ne peux pas enchaîner deux Deux et espérer continuer à chanter sous la douche, faire des projets et préparer la révolution. On verra dans 20 ans.
En me plongeant dans La gana, j'ai eu la sensation qu'il était question de mon enfance. Un univers proche de celui où j'ai grandi, de ceux que j'ai côtoyés. Cette banlieue grise et poisseuse, j'ai cru qu'il s'agissait d'Alfortville, au bord de la Seine. Y habitait le parrain de ma soeur, el Rafa. Nous y allions presque tous les dimanche. J'ai compris plus tard que Deux décrit Boulogne qui, avant de devenir l'un des fiefs de la bourgeoisie de l'ouest parisien, était, dans ces années trente de Deux, une ville industrielle et donc ouvrière. 
Les cafés, où le gamin va chercher son père, je les ai visités moi aussi. Avec ma mère se tenant à distance. Les déambulations dans les terrains vagues, les petites filles dont on rêve et à qui on parle trop brutalement... 
Et puis, il y a ces scènes oniriques, surréalistes, qui explosent le récit naturaliste, sans pour autant rendre l'épreuve plus acceptable. 
Je me demande si ce n'est pas pour ça que ce roman est longtemps resté en attente. Lire était pour moi, lorsque je m'y suis vraiment mis, m'ouvrir à l'inconnu, au savoir, à d'autres formes de pensée, sortir de chez moi sans bouger de ma chambre. Tout comme je ne supportais les discours misérabilistes, me renvoyant directement à ma condition, je ne pouvais lire ce type de littérature. A l'exception de John Fante et de son père poseur de briques, mais c'était loin, l'Amérique... Même chose pour le cinéma. Si j'ai aimé Lubitsch ou les comédies musicales par exemple, c'est parce que c'est du cinéma, que le monde représenté est à l'opposé du mien, qu'il me propose une vision purement spirituelle de l'existence, luxe, calme et volupté. Et parce que je pensais que c'était ça, la culture à avoir. 
Depuis, Eugène Dabit, Charles-Louis Philippe, Jean Meckert et d'autres me foutent des baffes. Il était temps. Merci à eux. 
La gana a été réédité de nombreuses fois depuis sa parution en 1958 chez Maurice Nadeau. En 2011, ce sont les éditions Le temps qu'il fait qui ont repris le flambeau. Fred Deux, né en 1924, est toujours en vie, quelque part dans le Berry. 

 

On peut trouver un extrait de La gana, ici, sur le site de son éditeur actuel


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